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L’ÉDITION DE BERNE

& sonore, mais son langage allait jusqu’au bégayement, ce qui contribuait souvent à donner à ses reparties une expression particulière. Les dernières années de la vie de cet artiste furent moins heureuses que les premières. Depuis la Révolution française, ou plutôt depuis les changements politiques de la Confédération suisse, le nombre des riches étrangers qui venaient naguère visiter la patrie de Freudenberg avait beaucoup diminué, & à la fin même il était réduit à rien. Cette absence de voyageurs devait avoir une influence désastreuse sur les revenus de cet artiste, dont les productions ne trouvaient plus d’acquéreurs, même parmi ses compatriotes. Un grand nombre de dessins sortis de son pinceau, & qui n’étaient pas inférieurs à ceux que les amateurs se disputaient dix ans plus tôt, restaient enfermés dans son portefeuille. L’humeur ordinairement pleine de douceur & d’aménité de Freudenberg ne put résister entièrement à ce changement de fortune. Il lui arrivait souvent de communiquer à un ami intime sa mauvaise humeur & son chagrin. Les idées politiques généralement adoptées par les compatriotes de Freudenberg étaient diamétralement opposées aux siennes, & jetaient, comme il était trop disposé à le croire, un reflet triste & sombre sur les beautés de la nature, auxquelles il s’était montré si longtemps sensible. La mort approchait lentement. Au milieu du mois d’août 1802, une attaque d’apoplexie ébranla son corps & atteignit en même temps son esprit. Personne ne pouvait voir l’état où la maladie avait réduit cet homme, naguère si plein de force & de santé, sans en être profondément touché. Trois mois après, une seconde attaque, arrivée le 15 novembre, mettait un terme à la situation si malheureuse & si digne de pitié de Freudenberg en terminant son existence. L’art perdit en lui un de ses adeptes les plus fervents, & la patrie un de ses plus dignes enfants. Sa mort fut universellement regrettée.

Quelques passages des Mémoires de Wille s’a-