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L’ÉDITION DE BERNE

Toun[1] durant lesquelles Aberli & lui dessinaient tous les objets qui attiraient & fixaient leurs regards. Son ami l’ayant engagé à graver les compositions qu’il puisait dans l’étude approfondie de la nature, c’est ainsi que Freudenberg se décida enfin à publier deux planches, la Balançoire & le Bon Père, qui furent toutes les deux accueillies très favorablement du public. Le Départ & le Retour du Soldat, composés dans le même goût, qui suivirent, contribuèrent encore plus à la faveur excitée par ce nouveau genre d’œuvres d’art qui participaient en quelque sorte du dessin & de la gravure ; mais bientôt la Petite Villageoise & les Chanteuses du mois de mai excitèrent l’intérêt général des amateurs pour ces images gracieuses des mœurs nationales, qui, par suite de l’habitude où l’on était de les avoir constamment sous les yeux, avaient passé longtemps sans être remarquées. Sous le pinceau de Freudenberg, relevées, embellies, vivifiées, elles se montraient dans tout leur éclat. En effet, les compositions de Freudenberg montraient la Suisse, aux indigènes comme aux étrangers, sous un aspect aussi nouveau qu’intéressant ; elles devinrent en même temps une source de fortune assez considérable pour Freudenberg, qui pendant plusieurs années trouva à peine le temps soit d’en faire de nouvelles, soit de multiplier ses dessins originaux, quoiqu’ils fussent alors très recherchés des amateurs.

Cependant un succès aussi inopiné & aussi flatteur eut le résultat assez malheureux de faire abandonner à Freudenberg la peinture à l’huile, qui exigeait trop de temps & de travail. De nos jours, un amateur de Berne est seul à posséder deux tableaux à l’huile de ce peintre, représentant des scènes champêtres semblables à celles qu’on admire dans ses dessins. Il est présumable que Freudenberg sentait lui-même qu’il lui était impossible désormais de donner à la

  1. Aberli a décrit le voyage qu’il avait fait avec Freudenberg au lac de Toun dans une lettre écrite en français & adressée à Zingg, qui est accompagnée de dix petites vues prises d’après nature. (P. N.)