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L’ÉDITION DE BERNE

les tableaux champêtres de la Suisse quelques juges sévères prétendaient reconnaître les traces, des vestiges, des souvenirs du maître des Amours & des Grâces[1].

Cependant ce qui empêcha Freudenberg de se laisser entièrement gagner par cette manière de peindre, si éloignée de la nature, fut la rencontre qu’il fit de Greuze, rival & peut-être même adversaire déclaré de Boucher. Les sujets que Greuze affectionnait particulièrement, il les empruntait ordinairement à la vie privée, à la vie intime de la bourgeoisie au milieu de laquelle il vivait, sujets dans lesquels le sentiment exagéré du drame nuit trop souvent à l’expression de la vérité. Les tableaux de Greuze firent sur le peintre suisse une impression plus grande que les compositions du premier peintre du roi ; elle fut telle qu’il eût été tenté de voir en lui l’idéal d’un artiste consommé, si ce peintre avait pu associer à ses compositions dramatiques, pleines de vie & d’intérêt, la finesse, l’harmonie, la vérité spirituelle d’un Ostade. C’est, on n’en saurait douter, de ce dernier peintre que Freudenberg reçut l’impulsion dernière & définitive, & ses tableaux ne sont que des essais où il a cherché à fondre ensemble les qualités des deux peintres, l’art d’un Greuze & d’un Ostade, en les associant dans la nature champêtre de son pays.

Les tableaux que Freudenberg a pu exécuter durant les huit ans qu’il passa à Paris sont trop nombreux & diffèrent trop entre eux pour que nous puissions les citer tous ici.

Au commencement de son séjour, il avait peint exclusivement des portraits, &, en conséquence, ses études s’étaient bornées à ce qui pouvait l’aider dans ce genre de peinture. Il les faisait soit à l’huile, soit au pastel, soit au lavis. Dans les courses qu’il faisait avec Wille, il employait dans ses dessins d’après nature la craie, l’encre de Chine, avec quelques

  1. Ne pourrait-on pas également reconnaître dans les tapisseries de Beauvais exécutées sur les dessins de Boucher, où se voient des cours de fermes entrevues sous des arcades ruinées, quelque chose des dessins faits d’après nature par le peintre suisse ? (P. N.)