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NOTICE DES MANUSCRITS

Au verso de ce titre on lit la Préface suivante, adressée au Lecteur :

« D’autant, lecteur, qu’il avient souvent que mesmes les meilleurs esprits sont détournez de la lecture des plus sérieuses & nécessaires choses pour en ettre l’écriture ou impression, tant belle & bien pinte soit-elle, mal orthographée, qui procéde ordinairement d’une nonchalance trop inepte ou d’une extrême ignorance, à fin que pour cette occasion ne vous dégoûtez ou retirez du tout de la lecture de ces Nouvelles, de prime entrée vous ai bien voulu avertir que sciemment & de propos délibéré n’ai suyvi l’orthographe vulgaire, ne me pouvant persüader qu’un usage commun se doive recevoir pour loy immuable quand oculairement on le void contraire à la vérité, souz protection de laquelle me suis volontiers soumis à l’opinïon de quelques gens de bon jugement qui maintïénent le naïf de notre langue françoyse ne se pouvoir mieus exprimer que par écriture conforme à la prononcïatïon. En quoy tant s’en faut qu’on les doive taxer d’une trop grande curïosité, sote ostentatïon de savoir, ou vainne gloire de vouloir paroitre plus sages que noz pères : qu’il me semble que nous leurs sommes merveilleusement obligez, véù qu’ilz ont par leur labeur & diligence éclaircy ce qui étoit par l’injure de quelques siècles barbares & incultz, non par l’ygnorance, de nos majeurs, tellement obscurcy que les plus clairvoyans n’y connoisçoyent non plus qu’un aveugle en couleurs, au très grand deshonneur & irrévérence de l’Antiquité, de laquelle cette orthographe (que quelques uns tiènent pour nouvelle & non recevable) a été répétée, comme il appert assez par la conférence des modernes avec les plus ancïens écritz, qui ne diffèrent en rien, ou bien peu, quant à l’orthographe. Quant au reste, je ne sache homme si éloingné de bon sens qui ne confesse le langage françoys, du quel nous usons à present, trop plus riche qu’il n’étoit ancïennement, tant pour la liberté que le tems nous à donnée de pouvoir user des phrases & locutions Grecques, Latines, Italyanes & Espagnoles, comme si elles nous étoyent naturelles, que pour la collocation & marque de pointz, discrétion des accentz sur certaines dictions, qui leur fait prendre diverse signification & prononciation, qu’usage & différence des figures appelées synalèphe & apostrophe : choses qui par cy devant n’ont été si diligement observées, ne si étroitement gardées qu’aujourd’huy pour l’importance, car elles illustrent for les écritz & apportent bien grand’lumière à l’intelligence de notre langue, principalement aus étrangers, qui tireront plus de profit d’une page bien punctuée, accentüée & écrite selon la naïve prononciatïon que d’un volume entïer écrit ou imprimé sans autre discrétion que celle qui tombe au cerveau mouvant du vulgaire ignorant, & ennemy de toute raison. Outre ce, donnent à connoitre que celuy des mains duquel sera sortye telle écriture n’est du tout ignorant, que je n’estime peu, pour éttre la plus par des hommes si curïeus, non obstant ce mal avisez, qu’ilz consument toute leur