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DE L’HEPTAMÉRON

Car luy ne moy ne l’eussions sçeu porter
Encores moins l’un l’autre conforter ;
Trop grande estoit l’amour d’entre nous deux
Où plus ne fault penser, & je le veulx ;
Mais, Seigneur Dieu, soyez luy favorable
Et à ses grans affaires secourable.
Il portera tant & tant d’ennuys
De ceste mort, par quoy, tant que je puys,
Je vous requiers, par vostre Passion,
De luy donner la bénédiction
À luy, aux siens & à toute sa race,
Et le tenir en vostre bonne grace. »
Et puys la croix, de triumphe banière,
Entre ses mains luy mist La Bourdaisière,
Qu’elle baisa, en disant doulcement :
« Ainsy fut mys pour moy le vray amant. »
Après, prenant sa fille par la main,
Dist : « Marguerite, encore est mon cueur plain
De ceste amour portée à vous si forte
Et à mon filz, ce que encores je porte,
Et dans mon cueur le sens si véhément
Que, pour n’avoir en mon entendement
Rien que Dieu seul, que seul doy desirer,
Je vous requiers de ung peu vous retirer
D’auprès de moy ; car, quand je vous regarde
D’avoir plaisir en mon cueur je n’ay garde.
Las, forte amour parler à vous m’empesche,
Mais ung seul mot pour la fin je vous presche,
C’est que en mon cueur je sens la foy si ferme,
Le don de Dieu par lequel il m’afferme
De mon salut, dont le plaisir je gouste ;
N’en faictes plus, m’amye, nul doubte. »
À ces propoz sa fille fort pleura,
Et de ses yeulx soudain se retira ;
Et non pas loing, car jusques au dernier
Ne la laissa & le bon Cordelier
Mist entre deux, regardant à loisir
Sa bonne mère en lict mortel gésir,
Qui escoutoit la lecture divine,
Les yeulx en hault, sans parolle ne myne,
Comme personne en extase ravie.

Mais ung des siens, qui bien l’avait servie,
Fut bien long temps à la persuader
De quelque chose enfin leur commander,
En la priant, avant que s’en aller,
Vouloir les siens d’un seul mot consoller.
Elle luy dist : « Cessez vos vains propoz ;