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DE L’HEPTAMÉRON

Que son rideau n’estoit plus tost tyré
Que son esprit ne fust hault retyré.
Dedans son lict quatre heures s’enfermoit
Pour diviser à celluy qu’elle aymoit ;
Et povoit on, en oyant ses souspirs,
Juger que à Dieu avoit mys ses désirs.

Le dernier jour venu, ceste Princesse
Fist préparer devant elle la messe,
Et fist sa fille à la fin recevoir,
Ce qu’elle eust fait se elle eust eu le povoir.
Elle appella son Père confesseur.
En luy disant : « Mon Père, il est tout seur
Que Dieu m’a fait l’honneur de m’appeller
Et de bon cueur je veulx à luy aller,
Car, s’il m’avoit donné la carte blanche
Pour me passer ceste mortelle planche,
Je n’eusse osé demander tant de biens
Qu’il m’a donnez, que tous de luy je tiens.
Et de ses dons & biens j’ay mal usé,
Mais mon péché ne [me ?] peult estre excusé,
Car de sa grâce & loy il m’a fait part
Et, longuement avant ce mien départ,
Son Fils m’a fait recevoir pour saulveur,
Par qui j’ay eu de luy toute faveur,
Tant qu’en luy seul de mon salut m’asseure,
Et que péché, faisant en moy demeure
Et qui m’avoit damnation aquise,
Est tout estainct par sa bonté exquise ;
Il est mon Dieu & ma salvation. »

Puys elle fist tout bas confession
Dévotement, ayant aux yeulx les larmes ;
Après luy dist telz ou semblables termes :
« Mon mal est tel que ne puys nullement
Recevoir Dieu sacramentellement ;
Mais allez moy une hostie querir
En la parroisse, affin qu’avant mourir,
En la voyant, puysse ramentevoir
Que Dieu se fait à l’homme recevoir. »
Ce que l’on fist &, quand l’hostie vid,
S’escriant dist : « Jésus, filz de David,
Qui sur la croix pour moy fuz estendu
Et par amour, cueur & costé fendu,
Je vous adore, ô mon Dieu & mon Roy,
Père & amy tel je vous tiens & croy,
Vous requérant de mes péchés pardon