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DE L’HEPTAMÉRON

Et serviteurs, sans autre testament,
Car il sçavoit que son vouloir feroit
Mort comme vif & luy obèyroit.

Puys l’unction l’Evesque de Lisieux[1]
Luy apporta, luy disant tout le mieulx
Que faire peut, à quoy il respondit :
« Ô mon Evesque, où est ce grand credit
Qu’avoit l’Église en donnant garison
Par unction & devotte oraison ?
Plus ne voyons l’Église primitive
Prier par foy & charité naïfve.
— Monsieur, » dist-il, « ce sacrement vous vaille
Pour vous donner victoire en la bataille
Que l’Ennemy mainctenant vous appreste. »
Il respondit : « Jésus luy a la teste
Si bien rompue & deffaicte & brisée
Que sa force est de moy trop desprisée. »
Et, regardant dedans ung grant tableau
D’un crucifix, il dist : « L’homme nouveau,
En ceste croix pendu, me renouvelle
En m’asseurant de la bonne nouvelle,
C’est que le Filz a Dieu mys en ce monde
Pour effacer nostre péché immunde. »
Et, tout remply d’une ferveur bénigne,
Joignant les mains, crya : « Bonté Divine,
Dedans ce corps en la croix attaché
Je voy vaincu & couvert mon péché ;
Ô, moy pécheur, meschant, infâme & lasche,
Dans ce costé par vive foy me cache.
J’ay méritté, Seigneur, d’estre battu,
Mais en ce corps dont je suys revestu
Il n’y a lieu où vous n’ayez frappé
Et, en luy mort, suys par vous eschappé.
Vous me devez mètre à damnation,
Je le sçay bien, c’est ma confusion,
Mais vostre Filz est pour moy condamné,
Jouant pour moy le roolle du damné.
Vous m’arguez de n’avoir obéys
Voz mandemens, mais les avoir hays ;
Je le confesse & en ay congnoissance,
Mais regardez la grande obéyssance
De vostre Enfant, qui a tout accomply
Vostre vouloir & lequel m’a remply

  1. Jean IV le Veneur, Cardinal de Tillières, évêque de Lisieux de 1505 à 1539 — M.