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SUR MARGUERITE DE NAVARRE

rommeau[1] de la mort, elle ne bougea d’auprès d’elle, la regardant si fixement au visage que jamais elle n’en osta le regard jusques aprèz sa mort. Aucunes de ses Dames plus privées luy demandaient à quoy elle amusoit tant sa veue sur ceste créature trespassante. Elle respondit qu’ayant ouy tant discourir à tant de sçavans Docteurs que l’âme & l’esprit sortoyent du corps aussitost ainsi qu’il trespassoit, elle vouloit veoir s’il en sentiroit (sortiroit ?) quelque vent ou bruit, ou le moindre résonnement du monde, au desloger & sortir, mais qu’elle n’y avoit rien aperceu, & disoit une raison qu’elle tenoit des mesmes Docteurs : que, leur ayant demandé pourquoy le cygne chantoit ainsin avant sa mort, ilz luy avoient respondu que c’estoit pour l’amour des[2] espritz qui travaillent à sortir par son long col. Pareillement, ce disoit-elle, vouloyt veoir sortir ou sentir résonner & ouyr ceste âme ou celluy esprit ce qu’il feroit à son desloger, mais rien moyngs. Et adjousta que si elle n’estoit bien ferme en la foy, qu’elle ne sçauroit que penser de ce deslogement & departement du corps & de l’âme, mais qu’elle vouloit croire ce que son Dieu & son Église commandoient, sans entrer plus avant en autre curiosité, comme de vray c’estoit l’une des dames aussi dévotieuses qu’on eust sçeu veoir, & qui avoit Dieu aussi souvant en la bouche & le craignoit autant.

Elle fist en ses gayettez un livre qui s’appelle les Nouvelles de la Reyne de Navarre, où l’on y veoit ung stille si doux & si fluant, & plain de si beaux discours &

  1. Approche. — Lal.
  2. À cause de.