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SUR MARGUERITE DE NAVARRE

arriva ; car amprés le festin & disner des nopces, il heust son congé & partist aussitost. Je le tiens de mon frère aussi, qui estoit lors Page à la Court, qui vist le mystère & qui s’en souvenoit très-bien, car il avoit la mémoyre très-heureuse. Possible auray-je esté importun d’avoir faict ceste digression, mais, pour m’estre venue en la souvenance, passer.

Pour parler encor’ du sçavoir de ceste Reyne, il estoit tel que les Embassadeurs qui parloyent à elle en estoient grandement ravis & en faisoyent de grands raports à ceux de leur nation à leur retour. Dont sur ce elle en soullageoit le Roy son frère, car ils l’aloyent trouver tousjours après avoir faict leur principalle ambassade & bien souvant, lorsqu’il avoit de grands affaires, les remettoit à elle. En attendant sa deffinition & totalle résolution, elle les sçavoit fort bien entretenir & contenter de beaux discours, comme elle y estoit fort opulante & fort habille à tirer les vers du nez d’eux ; dont le Roy disoit souvent qu’elle luy assistait très-bien & le deschargeoit de beaucoup. Aussy faisoient-elles à l’envy les deux seurs, comme je l’ay ouy dire, à qui serviroyt mieux leurs frères, l’une, la Reyne de Hongrie, l’Empereur, & l’autre le Roy François, mais l’une par les effets de la guerre & l’autre par l’industrie de son gentil esprit & par douceur.

Lorsque le Roy fut si fort mallade en Hespagne estant prisonnier, elle l’ala visiter, comme bonne sœur & amie, soubz le bon plaisir de l’Empereur, laquelle trouva son frère en si piteux estat que, si elle n’i fût venue, il estoit mort, d’autant qu’elle recognoissoit son naturel & sa complexion mieux que tous ses Médecins, & le traitta & le fit traiter selon qu’elle les