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EXTRAITS DE BRANTOME

tif[1], car elle s’adonna fort aux Lettres en son jeune aage & les continua tant qu’elle vescut, aimant & conversant, du temps de sa grandeur ordinairement à la Court, aveq les gens les plus sçavans du royaume de son frère. Aussi tous l’honoroient tellement qu’ils l’appeloyent leur Mecœnas, & la pluspart de leurs livres qui se composoient allors s’adressoit au Roy son frère, qui estoit bien sçavant, ou à elle.

Elle mesme composa fort & fit ung livre qu’elle intitula la Marguerite des Marguerites, qui est très beau, & le trouve-t’on encor imprimé. Elle composoit souvent des Commédies & des Moralitez, qu’on apelloit[2] en ce temps là, & des Pastoralles, qu’elle faisoit jouer & représenter par les Filles de sa Court.

Elle aymoit fort à composer des Chansons spirituelles, car elle avoit le cœur fort adonné à Dieu. Aussi portoit elle pour sa divise[3] la fleur de soucy, qui est la fleur ayant plus d’afinité aveq’ le soleil qu’aucune qui soit, tant en similitude de ses rayons ès feuilles de laditte fleur que à raison de la compaignie qu’elle luy fait ordinairement, se tournant de toutes partz là où il va, depuis oriant jusqu’en occidant, s’ouvrant aussi ou clouant, selon sa hauteur ou basseur. Aussi elle s’acommoda de ceste divise, aveq ces motz :

non inferiora secutus[4],
  1. De ce qu’elle avait acquis.
  2. Ainsi qu’on les appelait.
  3. Devise.
  4. Cette devise de Marguerite est rapportée par Claude Paradin dans ses Devises héroïques, 1557, in-8o, p. 41. C’est là que Brantôme l’a prise, en copiant presque textuellement l’explication. Quant à la devise, c’est un hémistiche de Virgile (Æneidos, VI, 170). — Lal.