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ORAISON FUNÈBRE

casion de regretter Marguerite de Valois, Royne de Navarre. Or, puis qu’ainsi est, je ne veoy plus en quoy nous puissons accuser la Mort qui, nous ostant Marguerite, nous a aussi laissé Marguerite.

Mais jesents Men, ô Alençonnois, où tendent les plainctes que vous faictes contre la Mort, c’est que plus ne veoyés vostre Marguerite en ce Monde, plus ne parlés à elle, car elle est estendue morte en son sépulchre. Serons nous donc de cest advis que celle ne se veoie plus au Monde, l’esprit de laquelle nous est encores présent ? Est donc ainsi de nous absente celle de laquelle les œuvres ne parlent moins avec nous que si elle estoit en nostre compaignie ? Demande à Platon si Marguerite est morte ou vivante ; il te respondra que la Mort n’est qu’un département de ceste vie & un changement d’une telle quelle vie à une aultre, meilleure & plus perfaicte, & le grand Tyrien dira avec luy ce que nous appellons la Mort estre un commencement d’immortalité & procréation de la vie future, les corps mourants ainsi qu’il leur est ordonné, mais les esprits montants à leur lieu & propre siège. Cicéron criera que la mort n’est que changement de vie, non pas destruction, & qu’elle est aux vertueus hommes & vertueuses femmes la guidde qui les meine au Ciel. Christ a confirmé leur sentence, qui appelle dormir ce que nous disons mourir. S. Paul, nous, exhortant que ne soions tristes de la mort des nostres & que n’en menions tel dueil que les Gentils, approuve assés que cents qui sont départis de ce Monde ne sont morts, comme si jamais ne dévoient estre rendus à une milleure vie. Au contraire, il nous donne espérance qu’un jour viendra que ceuls qui se fient en Jésuchrist seront participants de la victoire qu’il a remportée de la Mort, laquelle il a vaincue.