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DE MARGUERITE DE NAVARRE

heu leur cœur fiché en l’amour des trespassés. Laissons donc les froids & faincts collaudateurs des morts refraischir leur mémoire, ou en lisant les inscriptions des sépulchres ou en regardant les statues qui leur sont érigées, car nous havons tousjours mémoire de la Royne de Navarre. Et, ores que nous en eussions du tout perdu la souvenance, nous havons une aultre chose qui nous la renouvelle, c’est une Princesse ornée de singulière vertu, laquelle quand nous regarderons, l’image de Marguerite se représentera à nos œils.

De ce que nous aimons & souhaitions fort, nous havons incessamment le nom en la bouche, car il récrée nostre esprit, &, si nous veoions quelque chose qui nous excite la mémoire, nous sommes tous consolés & joïeus en la regardant. Or nous desirons de veoir en vie Marguerite de Valois, sœur unique du Roy François & Royne de Navarre, qui estoit le soubstien & appuy des bonnes Lettres, & la défense, refuge & reconfort de toutes personnes désolées, & Dieu nous a laissé une aultre Marguerite de Valois, fille du grand Roy François, sœur unique du trèsprudent & trèsvictorieus Roy de France Henry, studieuse des bonnes Lettres, support des personnes doctes, & trèsliberale Princesse envers un chascun. Elles ne diffèrent de nom, de surnom, de maison, de sang, d’armoiries ; il peut estre que’lles différoient quelque peu en grandeur, car l’une estoit Royne & l’aultre attend encor le tiltre Royal, mais elle est trèsdigne d’estre colloquée, non avec un Roy seulement, mais avec un Monarche & dominateur de tout ce monde. Que si le trèsdébonnaire Dieu nous donneoit, ce que tous espérons & de trèsbon cœur luy demandons, que la Niepce mist sur sa teste la couronne que la Tante a laissée, nous n’haurions plus oc-