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ORAISON FUNÈBRE

umbre de piété & religion, du Roy, dy je, qui est Satan, que Jésuchrist mesme dit estre le Prince du Monde. Et, quand ces deus se deffient de la victoire, le Monde survient à leur secours, qui amasse & fait une grosse & puissante armée de ses délices & voluptés.

Marguerite, hayant son glaive au poing, a desconfit, mis en fuitte, désarmé & vaincu ces trois, qui venoient en trouppe contre elle, & aujourd’huy triumphe d’euls au Ciel en grand gloire & magnificence. Qui vouldroit gaigner une plus honorable & plus noble victoire ?

Certes, je ne veuls nier qu’il ne soit beau & louable quand quelcun a magnaniment soustenu l’effort & l’assault de son ennemy, quand il a expugné, prins & saccaigé des villes, quand il a subjugué ses voisins à sa couronne & puissance, quand par conquestes il a dilaté & amplifié son Royaume & qu’il a mené en triumphe des Roys captifs ; mais il est trop plus honorable de se vaincre soimesmes & assubgettir au victorieus esprit toutes les cupidités & affections pernicieuses. Car quiconques obéit aux vices & aux cupidités, encor qu’il prenne des villes, qu’il amplifie ses Seigneuries & mette soubs sa puissance tant de Royaumes & d’hommes qu’il vouldra, certes il demeure esclave d’une misérable & villaine servitude.

Mais il me semble, ô Alençonnois, que j’entends d’aulcuns malings murmurer, ausquels il est moleste que nous élevons ainsi Marguerite jusques au Ciel, encor que les louenges que nous luy baillons soient véritables, &, pour les effacer & purger la suspition d’envie & de malédicence dont nous les voulons charger, diront que je ne joue le personnage d’un laudateur, mais plus tost d’un flatteur pour tant que nous avons cy devant beaucoup dit, & à leur jugement trop dit, des vertus de Marguerite, mais