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DE MARGUERITE DE NAVARRE

& délibérées à la guerre & à tenir la lance, souloient brusler leur droicte mammelle, & Marguerite a couppé toutes ses maulvaises affections comme membres, sans comparaison, plus nécessaires d’estre couppés, bruslés & mortifiés que les mammelles ou aultres membres du corps ; car, si l’on ne les couppe diligemment, l’âme & le corps tombent en grand danger. Les Amazones estoient sur les chevauls toutes armées & sçavoient très-bien les contourner, dompter, conduire & gouverner, tant féroces & maulvais fussent-ils, & Marguerite, par Raison illuminée & fortifiée de la Foy, a dompté, adoulcy, rengé au frein & humilié ceste partie de l’âme qui est incessamment rebelle à l’esprit, qui rue, qui mord son frein, qui reculle à l’espron, qui tousjours répugne. Les Amazones vestoient les armes ; toutefois elles n’estoient en tout temps armées, & si, les unes ayant esté surprinses nues, les aultres, encor qu’elles fussent couvertes de luisantes & belles armes, ont esté de lances passées tout au travers du corps, Marguerite n’estoit, ne jour ne nuict, sans armes, mais elle porteoit : pour son heaume, Espérance ; pour son halecret, Foy ; pour son escu, Vérité ; pour son glaive, la Parolle de Dieu, &, estant ainsi armée, ne peut onc estre transpercée d’oultre en oultre. Les Amazones ont mis les mains aux armes contre leurs ennemis, ont desconfit des armées, ont vaincu des Roys, les ont prins, les ont mis à mort, & Marguerite a heu guerre mortelle avec cest ennemy que tous portons sur nous, c’est avec la Chair, l’armée de laquelle sont les maulvaises cupidités & prodigieuses affections, comme hayne, ire, luxure, ambition, envie & telles œuvres du vieil Adam. D’aultre part venoit le malicieus, fin, cauteleus & trahistre Roy, qui est plus à craindre d’aultant qu’il nous sollicite à impiété soubs le prétexte &