Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/106

Cette page a été validée par deux contributeurs.
92
ORAISON FUNÈBRE

de serviteur, mais que le Prince doibt principallement & particulièrement advancer, honorer & enrichir ceuls qu’il congnoit estre mieuls à son gré & de qui se sent havoir plus de service. Ce que Marguerite a si bien observé que par tel éguillon elle exciteoit les pusillanimes & tardifs à faire leur devoir.

Je vous demande maintenant, ô Alençonnois, si vous sçavés aulcune vertu que nous puissions désirer en Marguerite, pour nous garder de la mettre première au reng des vertueuses & louables femmes. Qu’on nous mette en avant les Héroïnes, de quelque aige que ce soit, & nombrons ensemble toutes les vertus qui leur ont acquis bruit & renom immortel. Si nous en trouvons une seule qui passe Marguerite de quelque degré d’honneur, certes, je confesseray les louenges que nous luy donnons procedder plus d’une affection de cœur que de vérité & certain jugement.

Il peut estre qu’on nous présentera les illustres Amazones, qui, par leur virile courage & leurs excellents, prœus & magnanimes gestes, se sont donné une éternelle renommée. Tu me diras que, comme Penthasilée & Hippolite, Roynes des Amazones, Camille des Volsques, Zénobie des Palmyréans, Arthémise de Carie, Thomyre de Scythie, ont esté semblables à Marguerite de sexe & pareilles à elle en dignité, ainsi elles ont esté supérieures d’elle par glorieus & héroïques faicts. Dy moy, je te pry, de quel degré de vertu ces illustres & nobles femmes ont esté plus haultement assises au siège d’Honneur que Marguerite pour nous faire confesser que celle là ne doibt estre préférée à toutes les femmes qui en a heu, ou de supérieures, ou, à tout le moins, de pareilles ?

Nous lisons que les Amazones, pour estre plus promptes