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ORAISON FUNÈBRE

estre transportées, violées & touchées, qui vouldra ou pourra justement nier que les Offices de judicature par mesme raison ne puissent estre vendus ? Mais aussi, où telles choses ne contraigneroient, certes ceste marchandise d’Offices testifie une avarice qui doibt estre le plus qu’on pourra esloignée de la majesté d’un Prince.

Cognoissant donc Marguerite toutes ces choses, ne confèreoit les Offices de judicature à un chascun, mais au plus exquis & plus dignes, sans toutefois en prendre une seule maille, & mieuls aimeoit oultretrespasser les limites de libéralité que maculer le tiltre Royal de l’ordure d’avarice. On ne pourroit penser aulcune espèce de libéralité qu’elle bien n’ait perfaictement practiquée ; en sorte que, si tu compares à sa magnificence la libéralité de Vespasian, qui se disoit avoir perdu la journée en laquelle il n’avoit rien donné, elle te semblera une chicheté. Il est escript que l’Empereur Galien, fils de Valérian, ne refuseoit chose qui luy fust demandée, & Vespasian, de qui nous parlions maintenant, n’en faisoit seulement autant, mais de son bon gré exhorteoit chascun à luy demander tout ce qu’il vouldroit.

Or Marguerite ne donneoit seulement, d’un franc & libéral cœur, tout ce dont elle estoit requise, & n’inciteoit seulement les personnes à luy demander, mais aussi, à ceuls qui ne pensoient à rien moins qu’à luy faire demande de quelque chose, souvant elle faisoit de si riches présents que sa largesse les rendoit autant honteus que fut Philote de la libéralité d’Antoine, fils de Marc, qui si fort l’estonna & ébahit de la grandeur de ses dons qu’il ne les ausa prendre. La bonne Dame sçavoit bien Epictète avoir aultrefois escrit que, comme le Soleil n’atend les prières & conjurations des hommes pour se lever & nous