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trouve également à cet étage. Aux quatrième, enfin, la chambre du sous-gouverneur, qui semble bien consacrer ainsi le sommet de la hiérarchie domestique qu’il représente.

Cette chambre est meublée avec un luxe inouï, un grand lit en fer avec sommier et matelas, sur lequel le sous-gouverneur couche sans drap, car s’il a un lit, il ignore la manière de s’en servir. Une armoire vient compléter ce mobilier. Enfin, au dernier étage, la terrasse sans laquelle une maison arabe ne serait pas complète. Elle joue un rôle immense dans la vie des femmes des harems, c’est le seul endroit où elles puissent se tenir à l’air libre et dévoilées ; elles servent également de trait d’union entre les harems. Les maisons sont si rapprochées que les femmes font la conversation entre voisines et même se passent des objets. Ces conversations ont également lieu, d’ailleurs, tous les matins à travers les moucharabiehs, les harems étant toujours aux mêmes étages des maisons de manière à éviter tout rapport entre hommes et femmes de maison à maison.

Au bout de deux jours, n’en pouvant plus d’être ainsi enfermée, je demandai à sortir sous le prétexte d’acheter des tissus pour m’habiller, car je n’avais aucun autre vêtement que la robe noire dans laquelle je suis arrivée, ayant décidé de me procurer mes costumes arabes au Hedjaz.

Set Kébir me répond calmement que les souks sont fermés, tous les commerçants étant à la Mecque. J’insiste tellement qu’elle me promet de me faire accompagner dès que l’esclave aura fini de balayer, mais ce travail terminé, elle me prie d’attendre que la vaisselle soit lavée, puis elle prétexte le déjeuner, puis la chaleur, puis, enfin, qu’il m’est impossible de sortir la nuit. Je me rends compte que je suis complètement séquestrée, ceci d’ailleurs sous le couvert d’une politesse parfaite, le propre même de l’éducation arabe.

Je songe bien à sortir inaperçue, mais je ne suis jamais seule une minute, de plus quatre ou cinq esclaves gardent toujours la porte d’entrée. Je désespère alors et n’attends plus que le retour problématique de Soleiman ; quelques jours après Set Kébir m’annonce que nous allons sortir ensemble. Tout en m’étonnant de cette décision, je vais trouver le sous-gouverneur pour lui demander de me procurer de l’argent hedjazien. Il me donne, contre quelques livres, une montagne de réals, chaque livre vaut, en effet, 20 réals, et chaque réal se compose de 22 krouschs 1/2. Le pouvoir d’achat de cette monnaie est relativement très élevé puisqu’un verre de thé ou un tanaké d’eau se paye une krousch et qu’un mètre d’étoffe en coûte environ deux ou quatre, ce qui permet de se faire une robe pour la somme de cinq à douze francs.

Nous sortons après avoir couvert nos vêtements d’intérieur d’une jupe noire et d’un petit collet de la même couleur qui couvre la tête et sert à tenir le double voile de crêpe georgette noir qui recouvre la figure, cette petite pèlerine tombe jusque sur les hanches et sert à cacher les mains, que l’on ne peut montrer sans commettre un péché. Naturellement j’oublie continuellement cette recommandation rituelle et je laisse pendre mes bras, ce qui indigne fort. Nous sommes escortées d’esclaves qui nous guident, car, bien entendu aucune des femmes ne connaît ce labyrinthe de petites rues. Puis nous quittons la ville par la porte de la Mecque et nous longeons la mer. Set Kébir me montre au loin une immense maison blanche, avec une véranda centrale et douze fenêtres de façade, munies de contrevents peints en vert, comme une maison européenne, la seule d’ailleurs à Djeddah. C’est Koseir El Ardar, qui appartient à Ali Allamari et sert de palais au roi quand il vient dans cette ville. Le mobilier, toutefois, est la propriété du souverain.

Nous y pénétrons par une immense porte cochère et nous traversons rapidement le bas de la maison, réservé aux hommes, suivant la disposition intérieure habituelle.

Nous arrivons, au premier, dans un grand patio aux murs peints en vert, de même que les colonnes ; le sol est dallé de carreaux noirs et blancs, très mal ajustés et contre lesquels je m’écorche continuellement car nous circulons pieds nus.

Les femmes m’entraînent immédiatement à la chambre à coucher royale pour me faire partager leur admiration pour la splendeur de l’ameublement, persuadées que je n’ai jamais rien vu d’aussi beau.

Je ne puis m’empêcher de rire en apercevant un lit en métal argenté, avec des ampoules électriques à la tête du lit, servant probablement au roi à se sourire à lui-même en se réveillant le matin. Un ciel de lit en même métal d’où pendent des rideaux de tulle à broderies mécaniques complètent cet ensemble digne d’une courtisane de bas étage. Le matelas, sans drap bien entendu, ajoute au ridicule de l’ensemble.

Dans un coin une grande armoire à glace en faux palissandre et une commode assortie aux chaises et fauteuils recouverts d’un velours peluche vert vif.

Nous passons ensuite à la visite de la chambre de l’émir Fayçal, fils d’Ibn Séoud qui, quoique portant le même nom que l’émir Fayçal, roi d’Iracq, n’a aucune parenté avec celui-ci. Elle est garnie d’un ameublement très nouveau riche. Une armoire avec deux glaces, un lit en bois verni en ronce de noyer, une commode, le tout couvert de décorations en bronze du plus pur style arts décoratifs 1925.

Le salon enfin, établi dans une vaste pièce avec d’innombrables fauteuils, chaises et canapés en bois doré, recouverts d’un lamé bleu et or bien brillant, le tout acheté dans un grand magasin de meubles de Constantinople. On imagine aisément l’impression de luxe que doit produire un tel intérieur sur les indigènes qui n’ont jamais vu un meuble de leur vie.

Des fils électriques pendent dans toutes les pièces, je demande à Set Kébir si nous allons être éclairées à l’électricité ce soir, ce à quoi elle me répond :

— Tu n’y penses pas, la maison risquerait de brûler. Ce sont des folies qu’on ne risque que lorsque le roi vient.

Ce qui m’a le plus frappée dans cette maison ce sont les fenêtres sans moucharabiehs, ceux-ci étant remplacés par des volets à l’européenne. Le résultat est que nous ne pouvons rester dans nos chambres pendant la journée de peur que nous ne regardions aux fenêtres et que nous ne soyons aperçues par un mâle ; nous nous réunissions donc dans le patio où l’on peut se tenir en plein air dévoilée.

La visite du palais terminée, je m’imagine que nous allons repartir, mais nous nous accroupissons dans le patio, tandis que des esclaves apportent un grand samovar et quelques plats qui ont exactement la forme des tubs que nos parents employaient autrefois pour leur toilette.

Le repas se compose de courgettes coupées en morceaux, cuites à l’eau et sans aucune saveur, un peu de viande de mouton, du riz et des bamias (des espèces de piments verts (cornes grecques) octogonaux, mets très gluants et accommodés d’une sauce tomate ou d’une sauce brune).

Nous mangeons en puisant avec nos mains les morceaux consistants dans le plat commun et nous épongeons la sauce avec du pain.

La nourriture est servie bouillante et je me brûle plusieurs fois, comme je me précipite toujours la première pour essayer d’attraper des morceaux, avant que les autres femmes et surtout les esclaves aient trempé leurs doigts sales dans le plat ; la politesse veut que l’on pousse devant l’invité les meilleurs morceaux.

La nuit tombe et je comprends que nous allons rester au palais, je ne me doute pas que nous allions y passer plusieurs jours sans pouvoir changer de robe, de linge et faire sa toilette.

(À suivre.)
MARGA D’ANDURAIN.


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