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LE MARI PASSEPORT

tour. Un jeune esclave abyssin s’empare du drapeau, aussitôt Saad ben Ali Vaqqac lui coupe la main droite, il le saisit de la gauche, celle-ci à son tour est tranchée, il serre alors la hampe de l’étendard de ses moignons, mais il est littéralement haché en morceaux à coups de sabre. Se jetant sur l’étendard pour le couvrir de son corps, il meurt en s’écriant : « Ai-je fait tout mon devoir ? »

Je me sens très abattue, lasse d’attendre.

Au début je suivais du regard les porteurs d’eau, les plongeurs et les nègres allant dans la mer avec leurs ânes teints au henné. Les petits Javanais aux hanches étroites, serrés dans des pagnes écossais ou aux vives rayures, me divertissaient beaucoup. Ils allaient du port à la légation de Hollande et la prison est sur leur passage. Mais à présent je médite sur les affreux pressentiments de mon vrai mari, de Mme Amoun et des Italiens à bord du Dandolo.

Et ma crainte s’alimente à ces prédictions funestes.

Dans la pièce à côté, on a amassé de nouveaux prisonniers. Durant la nuit, pressés les uns sur les autres, ils poussent ma porte qui s’ouvre. Ils s’affalent alors sur le plancher de ma cellule avec un bruit macabre. Je tremble de frayeur. Au matin du 1er  mai, je trouve le pain que j’avais posé sur la fenêtre tout couvert de fourmis. Mes gardiens qui me manifestent de la pitié me conseillent d’entourer mes réserves de nourriture d’un petit fil de pétrole. Je le fais. Dans ma situation, on fait tout ce qu’on vous conseille. Mais les fourmis du Hedjaz sont de terribles bêtes, le lendemain mes aliments en sont encore couverts.

J’ai mal à la tête et je suis dévorée de déman-