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LE MARI PASSEPORT

heureux n’ont plus longtemps à souffrir. Ma hantise, c’est d’être également envoyée là-bas.

Au début, la promiscuité avec les bandits de cette prison m’avait horrifiée, mais je me suis habituée à leurs chants mélancoliques. Maintenant qu’ils vont « goûter à la mort », ils me manquent. L’idée d’être exécutée et même lapidée est déjà atroce. Toutefois l’attente du jour inconnu de ce supplice est abominable. C’est une torture morale où l’on se sent toujours au bord de la démence.

Et je pleure.

Je pleure ceux que j’aime, que je ne verrai plus et qui ne sauront jamais le fin mot de cette tragédie orientale. On dira : « assassinat et adultère » et beaucoup le croiront.

J’écris une lettre d’adieu à mon fils. Je lui explique les faits. Les faits authentiques qui sont certainement noyés à cette heure même à Djeddah, dans un amas de mensonges et d’inventions absurdes. Je dois dire ici, marginalement, que le Haut-Commissariat à Beyrouth reçut ce pli en son temps, mais il ne l’a jamais remis à mon fils qui résidait dans cette ville.

J’ai enfin trouvé un moyen pour quitter plusieurs fois par jour mon cachot. Ce n’est rien, ni prend figure d’une sorte d’évasion provisoire…

Car, pour les besoins naturels, on m’accorde l’endroit réservé au chef de la police.

Certes, je m’y rends toujours sous escorte, entre deux sentinelles, baïonnette au canon, et c’est une simple fosse sur la mer Rouge. Il sera peut-être difficile, ceci dit, de faire saisir quel réconfort cela m’apporte. Et pourtant…

Par la lucarne de ce petit coin isolé, j’aperçois la mer, le consulat, le drapeau français.