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VIE EN PRISON

Et la nuit commence avec ses angoisses, sa terreur, ses bruits, la vermine qui se réveille.

Par instants la confiance me revient, parce que je ne peux rester longtemps triste, mais, à d’autres moments, je me sens vraiment envie de mourir.

Dès le premier jour de mon arrestation, j’avais essayé de communiquer avec le ministre par un moyen que je ne puis citer ici, toutes les personnes mises en cause au cours de ce récit étant encore vivantes. Aujourd’hui j’ai la certitude que le consul a reçu mon appel ; je le suppliais comme toujours de venir me voir, ajoutant que j’étais couverte de bleus.

Dans l’après-midi, ma porte s’ouvre et livre passage à Jaber Effendi et à l’infirmière.

Elle interroge selon le protocole qu’on a dû lui imposer :

— Le ministre de France m’envoie prendre de vos nouvelles.

— Elles ne sont pas fameuses.

— Avez-vous été battue ?

— Non.

— Alors de quoi vous plaignez-vous ? Vous êtes bien « heureuse » (sic).

Certes, je comprends qu’on ne peut étendre sa sympathie à l’infini et que la plupart des humains ne disposent que d’une quantité limitée de sentiments à offrir aux autres êtres.

Tout de même, cette glaciale indifférence me rend folle. Cette personne croit-elle vraiment que j’ai tué Soleiman et me juge-t-elle criminelle ou est-ce de sa part une naturelle sécheresse de cœur ?

Je retrouve devant moi, à une heure tragique de ma destinée, la même médiocrité si répandue et la même incapacité de voir autre chose ici-bas que la