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L’ÉCONOMIE POLITIQUE.

une loi pour forcer le capitaliste à céder à l’ouvrier la totalité du profit provenant de son travail. Un règlement de cette nature tendrait infailliblement à améliorer la condition du pauvre. Vous souriez, madame B. ; j’ai bien peur que vous ne goûtiez pas mon plan de législation.

MADAME B.

J’y proposerais une addition ; ce serait une loi qui forçât le capitaliste à employer les ouvriers ; car aux termes que vous voudriez prescrire, personne ne consentirait à leur donner de l’ouvrage. Si le fermier était obligé de payer à ses ouvriers la valeur des récoltes qui sont le fruit de leur travail, il ne retirerait aucun profit de la vente de ses récoltes ; il laisserait donc ses champs sans culture, la terre resterait en friche, et les ouvriers mourraient de faim. Par la même raison, les fabricants congédieraient leurs ouvriers, et les marchands leurs commis ; en un mot, l’industrie serait paralysée. Certes si vous cherchiez à inventer pour un pays un système de ruine certaine et inévitable, je ne crois pas que vous pussiez adopter un moyen plus efficace d’accomplir un tel dessein.

CAROLINE.

En voilà bien assez sur la sagesse de mes lois ! J’aurais dû prévoir les conséquences que vous venez de me montrer, puisque vous m’aviez fait remarquer précédemment, que ce qui engage le riche à employer le pauvre, c’est l’avantage qu’il retire de l’occupation qu’il lui donne.

MADAME B.

Sans doute. Le profit que procure aux riches l’emploi qu’ils font de leurs capitaux constitue leur revenu. Sans ce revenu, le capital pourrait, il est vrai, être reproduit chaque année en vertu de vos lois coactives ; mais comme il ne donnerait point de revenu, le capitaliste le consommerait graduellement pour l’entretien de sa famille ; et par conséquent les moyens qu’il a d’employer des ouvriers diminueraient d’année en année.

Loin d’envisager comme un mal les profits que le capitaliste retire de ses ouvriers, j’ai souvent pensé que c’était une des plus bienfaisantes dispensations de la Providence, que cet ordre en vertu duquel l’emploi des forces du pauvre est nécessaire au riche pour l’accroissement de sa fortune.