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CONTES POPULAIRES

— Et comment pouvez-vous savoir si ce champ vous rapporte peu ou beaucoup ? vous envoyez votre blé sur le marché en un tas, sans spécifier de quel champ il est le produit.

— C’est l’affaire du fermier de savoir tout ce qui peut lui être avantageux ou nuisible. Je sais combien de gerbes de blé ce même champ peut me donner et combien je les vendrai ; d’un autre côté je compte le travail, l’engrais et le grain que j’y ai employés, en un mot tout ce qu’a dû me coûter sa culture, et si je n’y faisais pas un profit, non pas tel que celui que je retire de mes terres du bas de la colline, mais un profit honnête, ce champ ne serait plus un champ.

— Il est bien dur, dit John en soupirant, que nous autres pauvres gens soyons forcés de payer le pain si cher, afin que vous, messieurs les fermiers, fassiez un profit sur des terrains aussi misérables que celui-ci.

— Que dites-vous là, John ? Ce n’est pas moi qui fixe le prix du blé sur le marché ; je dois vendre le mien au prix courant, cher ou bon marché ; autrement je ne pourrais suffire aux exigences de ma ferme, car je n’ai pas d’argent en réserve, comme nos riches propriétaires qui peuvent attendre la hausse du prix du blé pour envoyer le leur au marché. Je serais curieux de savoir de quel avantage il vous serait que ce champ ne fût pas semé de blé ? Supposons que celui-là et tous ceux de même nature qui se trouvent dans les environs fussent mis en herbe, le blé serait beaucoup moins abondant sur le marché, car je puis vous assurer qu’il y a dans le pays un bon nombre de champs dont le terrain n’est pas meilleur que celui-ci ; et vous savez, Hopkins, quel est le résultat de la rareté du blé : une hausse dans le prix de cette denrée. Ainsi donc vous avez tort de penser que la culture du blé sur cette mauvaise pièce de terrain puisse nuire à vos intérêts ; elle est, au contraire, tout à votre avantage, car si moi et beaucoup d’autres n’avions pas essayé ce genre de culture, le prix du blé aurait augmenté et le pain serait plus cher.

— Ce n’est pas si sûr, reprit John d’un air important. Vous pourrez me trouver hardi, moi qui ne suis qu’un pauvre homme et non pas un fermier, d’oser discuter avec vous qui en savez bien plus que moi. Mais je vous dirai que j’ai causé dernièrement avec le seigneur de ce village, qui est le vôtre aussi bien que le mien ; je vou-