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SUR L’ÉCONOMIE POLITIQUE

bout de quelques années la population se fût trouvée trop nombreuse et réduite au même état de misère où elle était avant que la peste l’eût décimée.

« Et c’est où nous en sommes aujourd’hui, murmura la pauvre femme ; néanmoins que Dieu nous préserve d’un pareil fléau !

— La peste ne visitera plus ce pays, reprit John ; mais nous ne devons pas oublier la leçon qu’elle nous a donnée. Il est certain que si chaque ouvrier convenait de n’élever qu’un petit nombre d’enfants, au bout de quelques années nous nous en trouverions tous beaucoup mieux ; s’il ne s’était présenté qu’une ou deux filles pour entrer chez le fermier Wilkins, Jenny aurait eu plus de chance d’avoir la place et d’y gagner deux ou trois guinées par an, car les servantes étant plus rares, elles ne seraient pas si sottes que de servir pour un peu plus que leur nourriture et une paire de souliers. Notre pays ressemble à notre famille ; il y a trop de bouches à nourrir pour que chacun puisse y gagner honnêtement sa vie ; il n’en serait pas ainsi si chaque famille avait agi avec plus de sagesse. Dieu, en nous donnant des bras pour travailler, nous a donné aussi le bon sens pour réfléchir sur ce qui nous convient le mieux, et c’est notre faute si nous ne savons pas nous tenir en garde contre la pauvreté, au moyen de la prudence et de l’économie. Nous ne devions pas nous marier si jeunes, femme ; nous n’aurions pas eu tous les soucis que donne une nombreuse famille ; mais on ne peut revenir sur ce qui est fait : cela doit seulement nous servir d’avertissement pour une autre fois.

— Mais, John, ni toi ni moi ne voulons nous remarier, et d’ailleurs si c’était à faire maintenant, nous ne serions plus trop jeunes.

— Je ne pense ni à toi ni à moi, ma chère, mais bien à nos enfants ; notre fils Georges n’a que vingt-deux ans, et ne s’amuse-t-il pas déjà à faire sa cour à Betzy Bloomfield, qui est une fille de dix-neuf ans ! Georges n’aurait que le travail de ses mains pour entretenir elle et la douzaine d’enfants qu’ils ne tarderaient pas à avoir. Je ne veux pas entendre parler de ce mariage avant que Georges ait assez travaillé pour avoir mis quelque chose de côté. Quant à Betzy, il faut qu’elle entre en service, et lorsqu’elle aura fait des économies, et que tous deux auront quelques années de plus, ce sera assez tôt pour se mettre en ménage.