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SUR L’ÉCONOMIE POLITIQUE

répondit Hopkins, et ils étaient en petit nombre ; en sorte que les moulins et la petite fabrique suffisaient à leurs besoins. Mais ici nous sommes trop nombreux de moitié pour tous nos moulins et toutes nos fabriques.

— Alors, mon père, nous n’avons rien de mieux à faire qu’à en construire davantage ; ce ne sont pas les bras qui manquent.

— Non, mais il faut de l’argent, Tom, pour payer les ouvriers, et l’argent est rare parmi nous.

— Nous en avons pour le moins autant que les habitants de l’île déserte, reprit Tom, car je crois me rappeler qu’ils en avaient seulement une bourse pleine, et qu’ils n’en faisaient aucun usage ; pourquoi donc ne saurions-nous pas nous en passer aussi ? Il n’y a qu’à nourrir les ouvriers au lieu de leur donner un salaire.

— Et n’est-ce pas la même chose, Tom, de nourrir et de vêtir des ouvriers ou de leur payer des gages ? et si l’on manque de nourriture et de vêtements, cela ne revient-il pas au même que de manquer d’argent ? Le mal est que nous sommes trop nombreux ici ; cela fait qu’il n’y a pas de place, de nourriture ni de vêtements pour tous. Ta mère a eu seize enfants, et Dieu sait si nous avons eu de la peine pour en élever la moitié seulement ; mais tu es trop jeune, Tom, pour comprendre ces choses-là : va à ton ouvrage et ne reste pas là sans rien faire. »

Quand Tom fut parti : « Il est bien dur, en effet, dit sa mère, que moi, qui ai mis au monde seize enfants et qui ai travaillé, comme on dit, jour et nuit, je n’aie pas de quoi les habiller proprement, leur donner une nourriture saine et abondante et un peu d’éducation pour les pousser dans le monde. Que de peine nous avons eue à placer Dick et Nancy ! et maintenant vient le tour de Jenny, qui est bien d’âge à faire quelque chose. Je l’ai envoyée chez le fermier Wilkins, mais il n’y avait pas moins de six jeunes filles se présentant pour cette place, et celle qui l’a eue s’est engagée pour une bagatelle de plus que sa nourriture et une paire de souliers par an.

— C’est qu’il y a beaucoup plus de filles que de places, observa John.

— Oui, mais que faire d’elle à la maison ? Voilà Jenny, qui a si bon appétit que je ne puis la rassasier, elle gagnerait volontiers le pain qu’elle mange si elle savait comment ; mais on n’a pas voulu