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L’ÉCONOMIE POLITIQUE.

pauvres, dans l’espérance de vendre à un prix, qui l’indemnise de ses avances, ne peut manquer d’être ruiné, s’il continue de cultiver en vendant au bas prix que suppose une surabondance. Il abandonnera donc les terres inférieures, et dès-lors il y aura moins de blé produit, dans le cours des années suivantes, qu’il n’en faut pour l’approvisionnement ; d’où il arrivera qu’à une abondance excessive on verra succéder la disette ou la famine. Ainsi le prix du blé sera continuellement flottant entre le bas prix d’un marché qui en regorge et le haut prix de la disette.

Une surabondance des objets de première nécessité a, sous certains rapports, des suites plus pernicieuses que celle de toute autre espèce de marchandises. Si le marché était surchargé de thé et de café, ces denrées baisseraient de prix ; non-seulement elles seraient consommées en plus grande quantité par ceux qui en font habituellement usage, mais cette réduction de prix les mettrait à portée d’une classe inférieure et plus étendue. C’est ce qui ne peut pas avoir lieu pour le pain ; parce que c’est la nourriture journalière et l’aliment le plus commun des dernières classes de la société ; et quoique dans les bonnes années elles en consomment un peu plus, la différence ne peut être fort grande ; il arrive plutôt que ces consommateurs profitent du bas prix du pain pour employer à d’autres moyens de jouissance une plus grande partie de leurs salaires ; ils mangent plus de viande, boivent plus de liqueurs fortes, se font de meilleurs vêtements. Le blé superflu restera donc dans le grenier du fermier, au lieu de lui fournir le moyen de cultiver sa terre ; les ouvriers, dont le travail a produit ce blé, retomberont probablement à la charge de leur paroisse, faute d’ouvrage ; et il est facile de comprendre quelles seront les suites de cet état de choses pour la société entière, qui a dû compter, pour sa nourriture, sur le produit de leur travail.

CAROLINE.

Mais regardez-vous donc, dans tous les cas, le bas prix du blé comme un mal ?

MADAME B.

Au contraire, je le considère en général comme extrêmement avantageux ; il ne devient nuisible que lorsqu’il n’indemnise pas le fermier. Mais quand le blé peut être produit à peu de frais, il peut