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tour, quand il la regardait ainsi au crépuscule, dans cette calme rêverie. Ce qui suivit montre vraiment combien elle était devenue importante à sa vie : car il advint que quelques peupliers d’un jardin voisin s’élevèrent à assez de hauteur pour cacher la vue de cette tour. Sur quoi, Kant devint fort troublé, inquiet et finalement se trouva positivement incapable de continuer ses méditations du soir. Par bonheur, le propriétaire de ce jardin était une personne fort considérée et obligeante, qui avait d’ailleurs un profond respect pour Kant ; et par la suite, le cas lui ayant été représenté, il donna ordre de couper les peupliers. La chose fut faite : la vieille tour de Lœbenicht se découvrit de nouveau, Kant retrouva son égalité d’âme, put poursuivre de nouveau ses calmes méditations crépusculaires.

Après qu’on avait apporté les chandelles, Kant continuait de travailler jusqu’à presque dix heures. Un quart d’heure avant de se mettre au lit, il retirait autant que possible son esprit de toute classe de pensée qui demandait quelque effort ou énergie d’attention, tenant que ses pensées, par stimulation et excitation, pourraient être propres à lui causer de l’insomnie ; la moindre contrariété à l’heure habituelle de s’endormir lui était au plus haut point désagréable. Heureusement, c’était un accident qui lui arrivait bien rarement. Il se déshabillait sans l’aide de son valet de chambre, mais dans un tel ordre et avec un tel respect romain du decorum et du to prépon, qu’il était toujours prêt en une seconde à pouvoir paraître sans embarras pour lui ou pour les autres. Ceci fait, il s’étendait sur un matelas, s’enveloppait d’une cotte qui en été