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il hurle et sa douleur ne trouve dans la tragédie aucun contre-poids. Euripide, introduisant de plus en plus dans le drame l’image de la vie réelle, en détruit à mesure l’art et la symétrie.

Comparer Eschyle à Shakespeare, c’est tenter de réunir deux arts complètement différents. Rien d’analogue entre la scène d’Oreste et de Clytemnestre et celle d’Hamlet et de sa mère. Shakespeare n’avait nulle préoccupation de stichomythie, de mesure, ou de symétrie. C’est chez lui, si l’on veut, que la passion peut “mugir” à l’aise. S’il fallait rapprocher Eschyle d’un poëte des temps modernes, il semble que Dante lui serait quelque peu semblable. Le symbolisme obscur du poëte italien, son grand souci de la symétrie, du sujet et de la forme, la sobriété des épisodes enfermés dans un nombre donné de tercets — (l’apparition de Françoise de Rimini, par exemple), — font de lui un artiste eschylien. Mais c’est la statue de Laocoon qui fixerait encore le mieux l’idée de l’art grec au temps d’Eschyle. Elle montre bien en quoi cet art diffère du réalisme plus ou moins avancé, par la recherche exclusive de l’harmonie des rapports dans la forme. Laocoon souffre et se tord sous les deux serpents qui l’enlacent, et cependant, contrairement à toutes les lois de la vie, il ne pousse pas un cri, — sa bouche n’est qu’entr’ouverte, — parce que s’il criait, il ne serait pas parfaitement beau.

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