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fondeur qui allait jusqu’à l’âme ; ils étaient vraiment artistes, enfin, par la liberté dont ils usaient dans le choix et la représentation.

Ce peuple de commerçants pratiques, d’artistes libres, reçut les novateurs de la pensée qui craignaient les gouvernements d’ailleurs. Descartes et Spinoza trouvèrent en Hollande un asile si paisible que le premier hésita longtemps avant de se laisser séduire par les propositions d’une reine, que le second préféra vivre, juif chassé de sa communauté, chez une hôtesse chrétienne et pieuse, mais tolérante, que briller à une cour d’Europe en professant des doctrines moins hardies. Là encore la pensée trouva la pleine liberté dont elle avait besoin dans un siècle d’oppression religieuse où il était dangereux de philosopher contre l’autorité.

Nous ne souffrons plus d’aucune contrainte, ni pour l’art, ni pour la conscience. Mais notre siècle a été si bouleversé, par de continuelles révolutions dans la société et dans la littérature, qu’on se demande parfois si la critique est en pleine liberté de jugement. On a pu dire encore récemment que la Révolution n’était pas terminée ; que nous nous battions encore. Le romantisme n’est pas devenu classique que déjà il est attaqué, renversé ; une autre école a surgi, puis une autre déjà ; et, comme on voit monter à l’horizon des sociétés nouvelles, infiniment différentes de celles qu’avaient rêvées les hommes de 1789, on voit s’établir aussi des Ecoles littéraires, des coteries exclusives qui ont sectionné la littérature. Dans ce tourbillon d’idées politiques et littéraires, où nous avons tous nos préférences, nos passions et nos haines, il est difficile d’abandonner toute partialité pour jeter un coup d’œil en arrière ;