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rejoindre. Il ne remarquait pas les bizarres mouvements de Sabine, imprimant aux plis de sa robe une évolution brusque, sorte de révolte du cœur rendue soudain sensible à l’extérieur, vent d’orage que nous portons tous dans un pli de notre manteau, et qui, à un moment donné, paraît nous balayer les talons.

La naissance de Sabine ne se trouvait guère de celles que notre crapuleuse société accepte. Élevée par Duvicquet, comme sa pupille, elle ignorait qu’il devait être son père, et ne le soupçonnait même pas. Certaine qu’on lui cacherait la vérité sur quelques détails du passé, jamais une question ne trahit son désir de le connaître, et son enfance s’écoula entre les tendresses exubérantes dont le peintre l’accablait et les prodigieuses jalousies des parents de ses compagnes d’étude. Sa loyauté profonde, son horreur de la moindre hypocrisie, la sauvagerie qui constituait le fond de sa nature ne contribuèrent pas peu à remuer autour d’elle ces hostilités sourdes que ses professeurs, prosternés devant l’argent de leurs élèves, partageaient à son égard. Sabine, dès l’âge de dix ans, paya cher ce douloureux et effrayant privilège de n’être point taillée comme tout le monde. On s’imaginait lui faire grâce en la saluant. On lui en voulait de sa fierté, du hautain sentiment de sa valeur. Ses maîtres s’en servaient comme d’une affiche qui devait attirer à eux la clientèle ; après les succès remportés, on la traitait avec ce dédain, cette politesse pro-