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à la multitude des creuses chimères ; c’est votre pinceau qui m’a emportée vers les formes toujours fuyantes de la prospérité tant désirée. Sans lui aurais-je souhaité, attendu et palpé en esprit cet argent qui m’échappe et qui sonnait pour moi chaque fois que je caressais ses longues soies traîtresses ? — Et, pendant que je le croyais susceptible de faire de l’or, il me pétrissait l’âme de toutes les grandeurs ; il promenait en moi la trace de feu des divins affolements de l’artiste. Puis, quand il m’a eu créée assez haute, assez fière, sa puissance diabolique n’a pas été suffisante pour empêcher le foudroiement des misérables qui m’atteignent aujourd’hui. Il n’a détourné de moi aucun orage, il n’a étendu sur ma personne ni le prestige de sa virilité, ni la protection du nom qu’il représentait. On croirait presque, en vérité, qu’il ne m’a rendue telle que je suis, que pour offrir un mets plus savoureux à la dent des haines féminines, pour me rendre plus vibrante sous l’injure, plus écrasée sous la honte ! Voilà ce que je lui dois, à ton outil d’enfer ; aussi, regarde ce que j’en fais…

Et, arrachant du chevalet une poignée de brosses, elle les brisa, et en jeta les morceaux à la face de Duvicquet, qui bondit sous l’outrage :

— Arrière ! infâme ! cria-t-il ; arrière ! fille de concubine, cœur d’esclave…

Mais il s’arrêta épouvanté de ses paroles, et tendit les bras vers elle, qui reculait…

— Non, non, Sabine, ce n’est pas vrai ce que j’ai