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ces livres, nous mangions pendant huit jours des pommes de terre. — Eh bien, à la fin, voyez-vous, l’idée de Dieu était infailliblement liée dans mon cerveau aux pommes de terre.

— Avec ce dégoût des conventions, vous avez dû affoler votre famille ?

— Ah ! les commencements !… J’ai été d’abord à l’Hôtel de ville, à la section des décès. Je disais agréablement aux gens : « Messieurs, quand il vous plaira ! » À quatre heures je sortais. J’étais un peu amer, par exemple. — J’entrai ensuite chez un professeur où je donnais des leçons de littérature, et je me souviens d’un certain habit noir que j’endossais dans l’exercice de mes fonctions et qui me servit, certain jour, pour aller sur le terrain avec Poulart-Devyl. Devyl m’effleura d’une balle ; le drap fut déchiré ; on voyait la doublure. Je versai à l’endroit endommagé des torrents d’encre, et je marchais le plus vite possible dans la rue pour qu’on ne s’en aperçût pas.

— Et pourquoi ce duel avec Devyl ?

— Ah ! voilà ! Devyl faisait un drame intitulé Rafaelo. Ça me plongea dans une fureur !… On ne fait pas d’œuvre intitulée : Rafaelo !… ça n’a pas de raison d’être, ça n’est pas vrai ! — Bref, nous nous brouillâmes, et trois jours après nous nous battions. L’épée de Devyl m’enleva le drap de mon habit à un coin de l’épaule. — Ça m’était bien égal d’être blessé ; mais le vêtement déchiré, ça n’était pas drôle. Mes torrents d’encre versés n’empêchèrent point que