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le charme de l’histoire

sois ne semblent pas imaginer qu’ils puissent se passer de Dufort. On l’appelle, on lui demande conseil ; son nom est mis en avant dans toutes les assemblées électorales et, comme il se dérobe aux suffrages des électeurs, on le prie de désigner les candidats. La plupart des personnages qui, comme lui, avaient joué un rôle sous le régime précédent, se contentent de regarder avec un étonnement railleur les inconnus sur lesquels commence à se porter l’attention. Bientôt, punis de leur abstention, ils s’aperçoivent avec effroi qu’ils sont complètement oubliés, et que les nouveaux venus restent seuls sur la scène. Désormais, devant l’abdication de la classe jusque-là dirigeante, l’avenir de la monarchie, les destinées de la France, le salut même de l’ordre social dépendent de ces hommes qui, hier encore, n’étaient rien et qu’aucune expérience des affaires n’a préparés à gouverner le pays. N’ayant pratiqué que les livres et les théories, ils n’apportent au pouvoir que des passions et des rêves. Bientôt ces nouveaux venus seront dépassés par d’autres rêves et d’autres passions ; assaillis, pilotes naïfs et inhabiles, par une tempête qu’ils n’ont pas su prévenir et qu’ils ne sauront pas dominer, ils livreront la patrie aux caprices aveugles de la foule inconsciente et désordonnée.

Dufort et ses deux beaux-frères adoptèrent à ce moment redoutable des lignes de conduite diffé-