Page:Marbeau Le charme de l histoire 1902.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
80
le charme de l’histoire

» la cuisse à me faire crier, et me dit en riant : Voilà comme il faut mener les gens qui font les insolents. Ce n’est pas pour l’exactitude du cérémonial ; c’est pour lui apprendre que nous ne sommes pas ses égaux » (I. 111).

L’ordre social reposait alors sur la hiérarchie, c’est-à-dire sur l’inégalité, et c’était par l’étiquette que chacun, prince, ambassadeur, ou simple courtisan, obtenait qu’on lui rendit ce qu’il croyait être dû à son rang. Aussi chacun prétendait-il l’observer, et exigeait-il qu’elle fût respectée à son égard. Mais sous ce rapport aussi l’on voyait se manifester cette contradiction bizarre entre les usages, qui subsistaient tels que les avait légués le siècle précédent, et les idées, qui, ouvertes par l’esprit de discussion, jugeaient fort librement ces usages. Cette contradiction, quand elle se répand dans une société, est un fâcheux symptôme ; elle présage une dislocation prochaine ; c’est la débâcle des glaces qui commence. On était las de l’étiquette, on en riait tout bas. Dufort qui, par ses fonctions, avait la mission particulière de l’appliquer, se plaît souvent à faire ressortir ce qu’elle a de puéril. Ainsi, après avoir décrit avec des détails fort curieux la réception solennelle du comte de Kaunitz, cérémonie fastueuse qui eut presque le caractère d’une fête publique, qui mit en mouvement toute la population de Paris, et dont les réceptions actuelles des Ambassadeurs