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le charme de l’histoire

le sens de tous les mots, a émoussé l’énergie superbe du mot durer : Être dur contre les causes de destruction ; en dépit de tout, persister à être ! C’est en ce sens que Granvelle prétendait durer ; il persistait, parce qu’il espérait ! « Un peu de patience, écrivait-il, et cette nuée passera ! » Un jour pourtant il dut comprendre que son rôle dans les Flandres était bien fini ; mais alors il fut appelé à des rôles nouveaux sur dé plus grands théâtres, à Rome, à Naples, à Madrid.

Il convient donc de rétablir la vérité historique ; de rendre justice à l’homme d’Etat qui, sacrifié à des nécessités politiques qu’il n’avait pas créées et que ses conseils auraient évitées, eut assez d’empire sur lui-même, assez de grandeur morale, pour accepter sans mauvaise humeur, sans faire retentir l’Europe de ses plaintes, l’ordre qui l’écartait du champ de bataille. Il continua, dans l’ombre de la retraite, à servir son maître fidèlement et « sans bruit, ne cherchant d’autre satisfaction vis-à-vis du public que celle te d’ébahir, en ne bougeant pas, ceux qui auraient voulu qu’il remuât le ménage pour leur donner matière[1] ! »

Cet acte de justice accompli, nous conservons le droit de nous demander si l’histoire a eu complètement tort quand elle a fait peser sur Granvelle la responsabilité de ce qui s’est accompli dans les

  1. Lettre du 3 octobre 1565.