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granvelle aux pays-bas

et le bon vin de la Franche-Comté, la douceur du repos après les orages de la politique. « Tirer profit de ce en quoi les adversaires procurent faire dommage, voilà ma philosophie, écrivait-il ; avec cela vivre le plus joyeusement que l’on peut et se rire du monde, des folies des appassionnés et de ce qu’ils disent sans fondement. » Cette sérénité était-elle sincère ? Pourquoi en douterions-nous ? Quelque douleur que ressente l’homme d’action éloigné malgré lui du champ où se jouent les destinées des empires, s’il a, comme Granvelle, l’âme haute et l’esprit cultivé, il peut encore, à défaut des jouissances que donne dans la lutte l’exercice de la volonté, trouver un instant quelque charme à celles que procurent, en présence de la nature qui apaise et de Dieu qui console, l’exercice de la pensée méditative et sereine, le culte des lettres, c’est-à-dire des trésors que nous ont légués les grandes intelligences du passé. Granvelle espéra longtemps que sa disgrâce serait momentanée. Quel puissant ministre, quel humble marchand, quittant pour prendre sa retraite le poste où la destinée l’avait placé, ne se figure qu’il y était indispensable et que la terre ne pourra pas tourner sans lui ! Granvelle, plus que tout autre, dut se bercer de ces illusions. Il connaissait sa valeur, et quant à son caractère, il l’a peint lui-même dans son admirable devise : « Durate !» L’usage, qui avilit par l’accoutumance