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le charme de l’histoire

ter sa personnalité. La solution n’est pas douteuse quand l’auteur de la lettre existe. Après lui, son droit passera-t-il à ses représentants ? Si son droit lui survit, combien d’années durera-t-il ? En présence de ce droit, quels seront les droits de l’histoire ?

Oui, son droit lui survit. Il ne peut être permis au premier venu, entre les mains de qui le hasard aura fait tomber une lettre de mon père, de la publier sans mon aveu. Sous un certain rapport, mon droit est même plus étendu que ne l’était celui de mon père, car j’ai le droit de défendre, non seulement sa personnalité, mais aussi la mienne. Je porte le nom de mon père ; je suis lié à lui par la solidarité qui unit les générations successives de la même famille, et si la publication peut être blessante pour moi, même quand elle ne le serait pas pour lui, on ne peut me refuser le droit de l’interdire.

Ce droit sera-t-il éternel ? Peut-on admettre qu’après trois cents ou quatre cents ans un descendant de l’auteur puisse encore s’opposer à la publication d’une pièce qui a pu être confidentielle au moment où elle a été écrite, mais qui a véritablement cessé de l’être après que tous les intéressés ont disparu ? Là où il n’y a plus d’intérêt, il ne saurait plus y avoir de droit. Si aujourd’hui nous n’éprouvons aucun scrupule à troubler dans leur