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denys cochin

chement absolu de sa personne. À partir du jour où il a entrevu son œuvre, il s’y consacre tout entier et semble désormais ne plus vivre que pour elle. Il ne néglige pas cependant les autres aspects de la vie sociale ; il sait que les choses humaines s’enchaînent, et que tout esprit qui s’isole se diminue ; mais il rapporte à son œuvre tout ce qu’il observe, tout ce qu’il apprend. Il s’incarne en elle, de telle sorte que si plus tard on veut parler de lui, ce sera, comme pour Denys Cochin, son œuvre plus que sa personne qu’il faudra raconter. C’est ainsi du reste que l’un et l’autre eussent eux-mêmes désiré que l’on écrivit leur histoire. Bien différents des habiles qui ne cherchent dans tous les incidents de la vie que l’occasion de faire valoir leur personnalité, eux s’oublient et s’effacent, et tout entiers à leur but humanitaire, ils lui sacrifient sans arrière-pensée leur amour-propre comme leur intérêt. S’ils éprouvent parfois un regret et un étonnement, c’est quand ils se heurtent à des gens qui, par jalousie contre leur personne, cherchent à entraver une œuvre utile à l’humanité : âmes incapables de comprendre leur passion désintéressée pour le bien parce qu’elles ne seraient pas capables de la ressentir ! Ils ne se plaignent pas, d’ailleurs, de la destinée qu’ils ont choisie ; ils obtiennent la seule récompense réservée à l’homme qui consacre sa vie à son prochain : la satisfaction de la conscience. C’est l’un des bonheurs