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denys cochin

Quels cruels mécomptes laissent deviner ces lignes, piquant commentaire du triste proverbe belge : « Ne faites pas de bien, on ne vous fera pas de mal ». Mais les amertumes ne découragent pas les âmes généreuses[1], et d’ailleurs les sacrifices de Cochin n’avaient pas été stériles ; l’institution des Salles d’asile était désormais fondée en France.

Peu de temps après fut promulguée la grande loi de 1833 sur l’instruction primaire. Cochin saisit cette occasion pour expliquer que la Salle d’asile est le complément naturel de l’école, et pour fixer définitivement le caractère qu’il voulait donner à son œuvre. Son Manuel des Fondateurs et des Directeurs de Salles d’asile, ouvrage remarquable

  1. Il y a quelques années, la femme d’un grand industriel vint me demander des renseignements pour organiser une crèche dans l’usine de son mari. Elle en avait eu l’idée en constatant les services rendus par une crèche de Paris dont tous deux nous connaissions le fondateur. Incidemment elle me dit : « Je ne connais personne qui fasse autant de bien que lui, et personne qui ait été plus calomnié ». — « Comment ! vous savez cela, et vous avez le courage d’entreprendre une œuvre de bienfaisance ? » — « Oui. Je sais ce qui m’attend. Quand je viendrai à ma crèche on jettera de la houe sur ma voiture. Mais il faut faire le bien pour le bien, et non en vue de la reconnaissance ». — Quelques mois après, la crèche était construite ; c’était, et c’est encore une des mieux installées, des mieux tenues, des plus fréquentées des environs de Paris. Je demandai au directeur de l’usine si les familles dont l’œuvre soignait les enfants étaient reconnaissantes du bienfait qu’elles devaient à la charité de la fondatrice et aux sacrifices du patron. — « Oh ! la dernière fois que Mme X… est venue voir sa crèche, on a jeté de la boue dans sa voiture ». — Il me répétait les paroles mêmes dont j’avais conservé le douloureux souvenir.