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la rochefoucauld et la comtesse diane

mage rendu à la vertu » ; mais non, c’est la moralité générale qui a gagné, c’est le sens moral qui s’est élevé. Nous allons en trouver la preuve dans les Maximes de la Vie.

La Comtesse Diane semble éviter de nommer l’amour. Elle n’a pas ce scrupule lorsqu’elle décrit d’une plume légère les petits manèges des amants dans le monde : « Ce sont toujours les yeux qui les premiers parlent d’amour » (96). Mais lorsqu’elle veut dépeindre le sentiment lui-même, les mouvements secrets du cœur aimant, elle emploie plus volontiers, comme Lacordaire dans Marie-Madeleine, des expressions assez générales pour s’appliquer à toute grande affection qui s’empare de notre âme. Il y a certainement dans cette réserve une sorte de pudeur instinctive et délicate ; une femme qui écrit peut toujours appréhender que la malice du lecteur ne prétende trouver dans le tableau qu’elle trace de ce qui s’est passé devant ses yeux l’aveu de ce qu’elle aurait elle-même ressenti. Mais ce langage n’a-t-il pas encore une autre cause, et ne doit-il pas nous avertir que l’auteur va nous transporter dans une région bien différente de celle où nous laissait La Rochefoucauld ? Pour celui-ci, ce qu’il appelle l’amour n’est qu’un amusement passager, une sorte de lutte diplomatique où chacun des deux partenaires s’efforce d’obtenir plus qu’il ne donne, et veut surtout ne s’engager ni tout entier, ni pour