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le charme de l’histoire

tive, et il n’est plus guère employé que pour exprimer cette forme particulière d’amour de soi qui nous pousse à nous admirer nous-même, et à vouloir inspirer aux autres une opinion avantageuse de notre personne et de nos mérites. Aussi, contrairement peut-être à l’intention de La Rochefoucauld, tout lecteur donnera-t-il aujourd’hui cette interprétation à la phrase que nous venons de citer : « Il y a dans la jalousie plus d’amour-propre que d’amour ». Il hésitera d’autant moins, que la pensée, ainsi comprise, sera aussi juste que piquante. Mais elle sera juste à la condition qu’il s’agisse de la galanterie, et non point de l’amour. C’est la galanterie, en effet, qui a pour principal mobile l’amour-propre. Quant à l’amour, son mobile est le besoin de posséder ce qu’on aime, et de le posséder seul ; voilà d’où naît la jalousie. Le vieux Corneille l’exprime avec autant de grâce que de poésie dans les vers charmants que l’Amour adresse à Psyché : « Des tendresses du sang, dit Psyché, peut-on être jaloux ? » Et l’Amour répond :

Je le suis, ma Psyché, de toute la nature.
Les rayons du soleil vous baisent trop souvent ;
Vos cheveux souffrent trop les caresses du vent…
................
N’ayez d’yeux que pour moi, qui n’en ai que pour vous ;
Ne songez qu’à m’aimer, ne songez qu’à me plaire ».

Être jaloux, c’est aimer pour soi. Le jaloux veut que ce qu’il aime ne soit heureux que par lui et