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le charme de l’histoire

a donné n’entend pas s’être dessaisi tout-à-fait, et se croit le droit d’exercer un contrôle sur l’obligé. Ce contrôle est d’autant plus impérieux que l’obligé est plus pauvre » (60). Voici un exemple de cette prétention singulière : « Les cœurs qui comprennent et pratiquent le mieux la générosité ne songent pourtant pas à donner aux autres le plus grand des bonheurs, le bonheur de donner ; ils ne permettent pas même d’ordinaire qu’on partage avec d’autres la jouissance de leur don » (83). Qui de nous ne fera ici un retour sur soi-même et ne sentira avec surprise combien il garde d’égoïsme jusque dans sa générosité ! Nous voulons avoir le bénéfice de notre bienfait ; nous voulons que celui qui en jouit sache à qui il le doit. Ces exigences déraisonnables que la Comtesse Diane nous fait découvrir au fond de notre cœur et qui lui donnent le droit de s’écrier : « Nous faisons souvent payer bien cher ce que nous croyons avoir donné » (97) ; ces bizarreries et ces contradictions qu’elle constate dans les âmes les plus généreuses ont toutes la même source : l’amour de soi. Notre moi déborde jusque dans nos bienfaits ; c’est pour soi qu’on donne, comme c’est pour soi qu’on se dévoue et qu’on se sacrifie, comme, hélas ! c’est pour soi qu’on aime.

Aussi la Comtesse Diane a-t-elle raison de dire : « Il faut encore plus de générosité pour bien recevoir que pour bien donner ; la grandeur d’âme pres-