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le charme de l’histoire

profit. S’enrichir par la guerre, céder à prix d’argent la place forte, que l’on avait charge de défendre, se révolter pour faire acheter sa soumission,s’allier avec l’étranger, ne prendre conseil que de ses intérêts et faire prévaloir ses prétentions par les armes, tous ces privilèges, réservés aujourd’hui aux puissances belligérantes, étaient revendiqués et exercés sans déshonneur par les simples capitaines. Les mœurs créées par un état social survivent si longtemps aux institutions qui leur ont donné naissance, qu’on retrouve celles-ci, même après Richelieu ; la conduite de Turenne et de Condé pendant les troubles de la Fronde ne peut s’expliquer que par les souvenirs des temps féodaux.

Devenu ministre, Sully n’a plus l’occasion de faire des prisonniers ; mais il lui reste les présents du Roi, qui lui semblent la chose du monde la plus flatteuse, et les pots-de-vin, à l’occasion desquels sa probité fait une distinction. Il blâme sévèrement ses collègues, qui les recevaient en se cachant, pour trahir les intérêts du Roi. Quant à lui, il se vante de n’en avoir jamais accepté sans en avertir Henri IV ; c’était, dit-il, ainsi convenu entre eux. À chaque occasion, d’ailleurs, il offrait de reverser au trésor royal ce qu’il avait reçu, et le bon Roi, toujours aussi surpris que charmé d’une honnêteté à laquelle ses courtisans ne l’avaient pas accoutumé, ne manquait pas, à son tour, d’autoriser l’intègre