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le charme de l’histoire

tout autant que de regarder le ciel, ils ne peuvent s’élever, ni au sentiment du devoir ou de la charité, ni à l’adoration.

Il serait injuste cependant de prétendre, comme on le fait quelquefois, que la morale n’ait pas progressé depuis le commencement du monde. Nous trouvons dans les poésies des temps barbares, dans l’Iliade et l’Odyssée, dans les Sagas scandinaves, la morale sauvage des contes populaires. Aujourd’hui, quel poète oserait, sinon peut-être la pratiquer, du moins la professer et la chanter ? Quel législateur oserait assimiler la femme du prochain ou son serviteur, à son bœuf ou à son âne ? Le droit de conquête lui-même, qui pendant tant de siècles a régi seul la politique, commence à être jugé, tout autant que le vol à main armée, un abus révoltant de la force brutale, et il semble que la conscience moderne ne consente plus à l’admettre, du moins en théorie, que vis-à-vis des peuplades sauvages qui vivent en dehors de la civilisation et du droit des gens. Le respect du droit, le respect de l’homme gagnent chaque jour dans les pays civilisés, en attendant qu’une nouvelle invasion de barbares plonge encore une fois l’Europe dans la nuit cruelle, et nous rappelle, ce que du reste les contes populaires, si nous savons bien les lire, ne nous permettent pas d’oublier, que la bête humaine vit toujours ; que pour elle la force prime encore le