Page:Marbeau Le charme de l histoire 1902.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
238
le charme de l’histoire

tuent les enfants et les femmes, personnifient ce que le peuple redoute et maudit ; les autres, pauvres êtres simples et doux, nés pour souffrir et patiemment résignés à leur sort, personnifient ce qui lui ressemble. Mais pourquoi des rois et des reines, des princes fils de rois, des princesses couvertes d’or et de pierreries, vêtues de robes couleur du temps ou couleur du soleil ; des enfants si beaux que la petite fille s’appelle Aurore, et que son frère, plus beau encore, s’appelle Le Jour ? À quel besoin de l’imagina­tion populaire répondent ces personnages que le peuple n’a jamais rencontrés sur sa route ? Ceux-là personnifient l’idéal !… Oui, à côté de ce que lui montre la vie, de ce qu’il craint ou de ce qu’il plaint, de ce qu’il hait ou de ce qu’il aime, le peuple veut placer ce qu’il rêve, ce qui le console de la douloureuse réalité. C’est que la beauté, le rang, la puissance ont sur tous les hommes, sur les petits encore plus que sur les grands, un prestige que rien ne détruira jamais et qui est peut-être la plus sûre sauvegarde de la société. Quand le peuple rêve, il rêve ces dons ; il se figure qu’ils assurent, avec l’admiration et le respect, le bonheur, ce bien secret que nous poursuivons tous, sans jamais l’atteindre, et sans jamais en désespérer. Une légende roumaine dit : « Si c’est le bonheur que tu cherches, tu peux parcourir toute la terre ; les pâles rayons de la lune ne te le montreront