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le charme de l’histoire

et que le hasard des circonstances nous a seul empêchés de franchir. Il en est ainsi des êtres sauvages, rudes et forts que nous présente M. de Justh : ils sont étranges et imprévus ; ils diffèrent de tous ceux que nous connaissons ; cependant nous sentons qu’ils sont vrais ; qu’ils sont, sinon de notre race, du moins de notre espèce. Tels ces portraits d’Holbein ou de Rembrandt auxquels ne ressemble aucun homme d’aujourd’hui, que cependant nous croyons voir respirer et penser, tant leur physionomie offre de vie et de vérité.

Si, après avoir étudié les personnages que nous dépeint l’auteur, nous regardons l’auteur lui-même, nous reconnaissons dans ce membre civilisé et gracieux de la haute noblesse magyare un descendant de ces Huns audacieux et implacables que nul danger ne troublait, qui envisageaient la mort, non pas avec indifférence, mais avec allégresse. Voyez la ferme tranquillité de M. de Justh quand il reproduit ces dialogues où ses interlocuteurs lui répètent, comme chose toute naturelle, qu’il est poitrinaire et qu’il ne lui est pas permis d’aspirer aux joies de la vie et de la famille ! Cette tranquillité n’est pas la résignation, sentiment dans lequel il entre toujours de l’abandon de soi-même ; c’est plutôt ce que La Rochefoucault appelait la constance, la vertu qui voit, qui juge, et que l’approche de la mort ne peut émouvoir. Le livre de M. de Justh