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le charme de l’histoire

vraie réforme. » — Qu’elle en eût ou non conscience, la République accomplissait l’œuvre indiquée par Sieyès, but latent et résultat final de toute Révolution ; et Dufort ne se trompait pas en sentant que pour la satisfaire il aurait fallu se retirer et abandonner la terre à de nouveaux venus.

Cependant mille symptômes annonçaient aux moins clairvoyants la fin de la crise. À la date du p septembre 1799, Dufort décrit ainsi la situation du pays : « On peut prédire à coup sûr un orage lorsque des nuages légers s’amoncellent sur l’horizon, que le tonnerre gronde dans le lointain et que la nature entière est dans un triste silence. Telle est, à peu près, la situation de toute la France dans ce moment. Le mécontentement est général ; l’effroi d’un côté, l’espérance de l’autre, se peignent sur tous les visages, et l’inquiétude, planant dans toutes les imaginations, forme pour l’observateur un spectacle étonnant » (II. 413). Il reprend, quelques jours après : « Effroi général pour les otages, pour la conscription, les colonnes mobiles, l’emprunt forcé. Les otages disent qu’ils ne partiront pas ; les conscrits se cachent dans les bois ; les imposés annoncent qu’ils se laisseront saisir plutôt que de payer… J’ignore à combien on m’imposera, mais Je me trouve tellement au-dessous de mes affaires que nous abandonnons tout à ma belle-fille pour payer nos créanciers " (II. 415).