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dufort de cheverny

rait dans une maison de santé, où quelque indisposition vous condamnerait à un séjour d’une durée indéterminée. Chaque détenu s’y installait de son mieux et à son goût, y vivait à ses frais, payant sa nourriture et quelquefois celle des détenus pauvres. On achetait fort cher les bonnes grâces du concierge ; on faisait société tant bien que mal avec les personnes que le hasard de la proscription avait rassemblées là, et parmi lesquelles on était certain de trouver bonne et agréable compagnie.

Si, à côté de ce tableau, on se représente ce que pouvait être au dehors la vie d’un malheureux proscrit, se traînant de cachette en cachette, exposant à la guillotine les amis qui lui offraient un asile, on ne s’étonnera pas que Dufort ait renoncé à se servir de la retraite qu’il s’était préparée. Il était loin d’être le seul dans le même cas. Ainsi il trouva aux Carmélites un ancien prieur du collège de Blois qui avait été dénoncé — par erreur, mais ce point importait peu, — pour refus du serment imposé aux prêtres. Il y allait pour lui de la mort ou de la déportation. Le malheureux avait commencé par se cacher. Au bout de quatre mois, las de trembler toujours et de compromettre ses amis, il s’était volontairement rendu à la prison, « où on le laissait plus tranquille », dit Dufort (II. 173). Lorsque Dufort raconte l’arrestation de son beau-frère Salaberry, il écrit : « Celui-ci, qui s’ennuyait mortelle-