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le charme de l’histoire

librement ; ils venaient trois fois par jour, aux heures qu’il avait fixées, lui apporter ses repas. Les parents des détenus avaient aussi leurs entrées ; la femme de Dufort venait le voir tous les jours ; un autre prisonnier, M. de Lagrange, avait auprès de lui sa sœur, « qui, quoique libre, ne le quittait jamais ». On se réunissait pour dîner et pour passer la journée en commun. La chambre de Dufort étant la plus commode fut adoptée par tous ; elle servit de salon, de salle à manger. On passait son temps à causer, à faire sa partie, à jouer du violon, à lire les gazettes. « Avec un peu de prestige (Dufort veut dire sans doute avec un peu d’imagination), on pouvait se figurer être à la suite de la Cour, dans les voyages de Compiègne ou de Fontainebleau » (II. 227).

Le marquis de Rancogne, ami et voisin de campagne de Dufort, avait été dénoncé et arrêté en même temps que lui sous prétexte que sa mère, octogénaire en enfance, était « aristocrate et fanatique ». Pour se distraire, il fit venir sa musique, et il admit à l’honneur de faire à côté de lui une partie de second violon un sans-culotte nommé Gidouin, qui, lui aussi, était en prison ; la Révolution commençait à dévorer ses enfants. Ensuite, pour faire de l’exercice, il joua au ballon dans ce qui avait été la chapelle des religieuses. Puis il se fit apporter une lunette d’approche ; du haut du