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t-il à un élan passager ; ou bien, se souciait-il uniquement d’étudier ton caractère, se figurant voir ce qu’est le masque d’une Parisienne à travers son lorgnon teuton ? Lui seul le sait… Toujours est-il que ton inconséquence nous a tous compromis. C’est toi qui l’a introduit dans notre intimité, qui as encouragé ses desseins secrets en répondant à ses avances… Et s’il arrive quelque chose à ton frère, tu pourras te dire que tu…

— Aimé !

Michel Bertin interrompit violemment son fils. Il lui désigna Jacqueline et René qui, enlacés l’un à l’autre, écoutaient leur père avec la même détresse silencieuse, le même geste des mâchoires contractées pour retenir les sanglots, le même regard de reproche vers le vieil enfant terrible qui les martyrisait inconsciemment.

Alors, Michel Bertin déclara lentement :

— Tu n’as pas le droit de parler ainsi. Moi seul aurais pu les blâmer, et tu sais bien pourquoi, Aimé… Et ton fils l’a senti également : son premier regard a été pour moi, tout à l’heure… Eh bien !… Qu’ai-je fait ? Je me suis tu… Imite mon exemple. J’ai l’horreur des Kassandras qui rappellent leurs prédictions, lorsque l’augure s’est réalisé. L’expérience est une conquête que nous faisons à l’aide de nos yeux, de nos bras et de nos gestes… ce ne sont jamais nos oreilles qui l’acquièrent. Nous ne l’apprenons pas : nous la prenons… À quoi servaient mes avertissements ? À quoi serviraient mes doléances ?… Mon impuissance s’est efforcée de prévenir les événements… Aujourd’hui qu’ils se sont produits, je ne les déplore point : je me réjouis… Regarde ton fils : est-ce le galopin de naguère qui nous débitait de belles tirades creuses sur la fraternité des races ?… Il est sombre, il a vécu ; il sait souffrir avec dignité ; il ne bavarde plus, mais il agit bien… Et tu as le cœur de te lamenter quand, au contraire, il faut lui crier : « Bravo, mon petit gosse ! Tu prouves que tu es d’un bon sang, que tu appartiens à cette élite de braves gens dont les bêtises mêmes finissent en beauté… » Ton fils a grandi, Aimé.

Le modiste considéra son père sans comprendre ; sa nervosité s’exaspéra. Il clama :

— Je m’en fiche, moi, de tout ça !… J’ai du chagrin, papa…

Et, saisissant la tête de son fils entre ses mains, Aimé Bertin l’étreignit en gémissant avec désespoir :

— Mon petit René… Mon petit René… J’ai peur qu’on ne te fasse du mal !…

— Eh bien ! et moi… Crois-tu que je n’en aie pas, du chagrin ? murmura doucement le grand-père.




VII


Paul Dupuis et Maurice Simon entrèrent au Continental en raidissant un peu leur démarche. C’était la première fois qu’ils servaient de témoins ; et ils se sentaient terriblement intimidés, de cette timidité des novices qui redoutent les bévues humiliantes.

Surtout que leur mission s’annonçait compliquée ; ils devraient y déployer des qualités de tact et de finesse, pour effleurer certains sujets. Et leur souvenir de Schwartzmann — cet Allemand rogue, hautain et guindé — ne les encourageait guère : l’interlocuteur auquel ils auraient affaire ne faciliterait point leur tâche.

Ils remirent leurs cartes à un domestique en demandant Schwartzmann. On les introduisit dans un petit salon qui dépendait de l’appartement que