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éprouvé de contentement à venir en France. La bonne humeur perpétuelle du métallurgiste était celle des êtres fortunés qui traversent la vie sur un pont d’or, tandis que les autres humains se débattent au fond du torrent. Hermann prenait tout bien, parce que tout se présentait bien pour lui : il se sentait partout chez lui, parce qu’il y a partout des établissements de crédit et des banques. Il rendait grâce à sa richesse sans philosopher sur l’inanité de l’argent.

Après le dîner, Jacqueline et René décidèrent d’accompagner leurs amis à la gare.

Rencognée au fond de l’auto du Continental, Jacqueline collait obstinément son visage à la vitre afin d’éviter de rencontrer les yeux de Schwartzmann, qu’elle ne verrait plus avant de longs mois. Le cœur serré, l’âme angoissée, la jeune fille fuyait instinctivement l’écrivain ; — car il est pénible de se sentir tout près de ceux qui vous quittent, à la minute suprême où ils s’en vont si loin.

Jacqueline déplorait son rêve : c’était sa belle aventure qui s’envolait sous les traits de Hans. Finies, les promenades sentimentales ; finis, les entretiens où cette intelligence illustre s’efforçait de briller pour lui plaire. Demain, ce serait l’existence ancienne : la boutique, les clientes revêches, les relations sans gloire et sans attrait. Ce doux songe de deux mois recommencerait-il, l’été prochain ? Qui sait ? Cela ne serait plus cela. Elle aurait peut-être changé ou trouverait Hans différent. En tout cas, ils se reverraient sans surprise et le charme de l’inconnu serait rompu : les deux mois qu’ils venaient de savourer ne reviendraient plus… Leur bonheur aurait vieilli.

Sur les quais de la gare, tandis que René s’éloignait pour rendre aux voyageurs les multiples services relatifs au départ, Jacqueline se rapprocha d’Hermann — obéissant au sentiment de regret cuisant qui lui faisait craindre un douloureux tête-à-tête avec Hans.

Fischer jasait gaiement, enchanté à l’idée de regagner ses pénates ; Jacqueline entendait confusément cette voix sonore qu’elle n’écoutait point.

Devant eux, à quelques pas, marchaient Schwartzmann et Caroline.

Tous deux de haute taille, avec les mêmes épaules larges, la même démarche lourdement cadencée, l’Allemand et l’Allemande s’appariaient si parfaitement, que l’harmonie qui se dégageait de cette ressemblance physique parait leurs silhouettes assorties d’une beauté de race qui leur eût manqué, vues séparément.

Hermann les contemplait orgueilleusement ; puis il reportait ses regards sur Jacqueline et semblait évaluer la faiblesse de sa grâce affinée, de sa musculature délicate et de ses poignets frêles.

Désignant sa sœur et son ami, Fischer dit soudain : Ils formeront un beau couple, n’est-ce pas ?

Jacqueline dévisagea Hermann qui souriait bonassement. Elle questionna brièvement : Fiancés ?

— Oui. Ils reviendront à Paris en voyage de noces…

Tandis qu’Hermann, ému à l’évocation de cet avenir, promenait des prunelles d’extase sur le décor enfumé de la gare bruyante, Jacqueline, le plantant là, brusquement, alla saisir Schwartzmann par le bras et l’entraîna à l’écart.

— Qu’est-ce que me raconte M. Fischer ?… Vous épousez sa sœur ?… Et alors, moi !

La jeune fille avait articulé ces mots